Contredanses et quadrilles
Des danses de salon au siècle des Lumières
Suivant notre habitude, nous faisons de la « recherche appliquée », ce qui signifie que nous nous basons sur nos nombreux dépouillements effectués dans divers fonds anciens de bibliothèques. D'autres font partie de collectages du tout début du XXe siècle ou de reconstitutions par un groupe folklorique.
Après avoir analysé des ouvrages datés de la première partie du XVIIIème siècle, qu’ils soient manuscrits ou édités, nous y avons rencontré des styles de mélodies de danses comme des menuets, des rigaudons, des bourrées, des cotillons, des allemandes, des loures, des passepieds, des sarabandes...mais aussi des contredanses.
Pour exécuter toutes ces danses, il a été indispensable de travailler en étroite collaboration avec des danseurs de « belle danse » du XVIIIe siècle et appréhender leur spécificité comme le tempo, par exemple ; ce qui a été notre démarche au début avec Francine Lancelot.

Puis, abordant les contredanses, après avoir lu l'ouvrage de Jean-Michel Guilcher, nous nous sommes penchés sur les country-dances, contredanses, contradanza, danzon….noms variant suivant les époques historiques et les pays où nous les avons retrouvées dans le mouvement international de revivalisme qui a eu lieu aux XIXème et XXème siècles.

Tout d’abord quelques dates
Durant le XVIIIème siècle la contredanse se répand très vite. C’est une danse collective avec des parcours très vifs, des pas simples mais les figures sont de plus en plus nombreuses. Elles sont annoncées au fur et à mesure, par le Rigaudonnier (ou Caller chez les anglais et au Canada). Sébastien Mercier en parle dans Les bals à Paris pendant la Révolution. Il écrit : Les jeunes filles essayent devant le public ce que leur a appris leur maître (des pirouettes, des rigaudons, des entrechats).
Vers 1740 : La contredanse est dansée à l’Opéra, à la Comédie française, au Théâtre italien, au Théâtre de Foire, puis dans toutes les fêtes foraines à Paris et en provinces. Tous ces milieux s’influencent réciproquement.
1750 : Un exemple de l’ordre des danses exécutées dans un bal : un menuet à 2 (danseurs) ; des menuets à 4 (danseurs) ; des contredanses, ou cotillon à 4 (danseurs). C’est à cette époque là que le terme pas-redoublé apparaît dans l’infanterie française.
A partir des années 1760 : on transcrit et on publie sur des feuillets une quantité impressionnante de contredanses (plusieurs par semaine).
1767 : De nombreux wauxhalls sont créés dans toutes les villes de provinces.

L’origine de ces contredanses
Jean-Michel Guilcher avance que la contredanse française du XVIIIème siècle peut être considérée comme issue du croisement de deux danses, la contredanse anglaise et le cotillon.
Quelques country-dances anglaises apparaissent lors d'un séjour de la Cour à Fontainebleau en 1684, initiées par le maître à danser anglais Isaac. Voyant le plaisir qu’y prennent les jeunes gens lassés de toujours danser qu’à deux, un maître à danser français, André Lorin, fit un voyage en Angleterre pour les observer de plus près et rédigea deux manuscrits, dont la Contredanse du Roy qu’il dédia à Louis XIV en 1688.

Dans ces ouvrages, il explique le principe de l’évolution de la contredanse : les couples sont en colonne, tous les cavaliers du même côté

Le premier couple finit la figure de la contredanse en 2ème position après avoir changé de place avec le second couple et recommence la même évolution avec le 3ème couple et ainsi de suite jusqu’à la dernière place où il reste un tour sans danser ; ensuite il remonte progressivement la danse jusqu’à la première place et la danse se termine lorsque chaque couple a retrouvé sa place d’origine après avoir dansé avec tous les autres couples de la formation.
Néanmoins André Lorin, s’il apprécie la vivacité de cette danse aux déplacements incessants, aux rencontres multiples et à l’esprit convivial, ne peut accepter la liberté qui est laissée aux danseurs quant aux pas. Aussi va-t-il ajouter, pour rester dans le goût français, les pas réglés des danseurs de la cour.
Ces pas ont été "dessinés" par un maître à danser de Louis XIV, Guillaume Louis Pécour, auteur de célèbres danses comme la bourrée d'Achille ou le Rigaudon des Vaisseaux et ils seront édités par Raoul Auger Feuillet sous le titre de Chorégraphie ou l'art de décrire la danse.

Cette notation de la danse permet de représenter les déplacements (ou chemins), les positions et les mouvements de pieds et les pas


Et même les mouvements éventuels de mains

La contredanse prend alors le pas sur la « belle danse » et Raoul Auger Feuillet en 1706, puis Dezais ou Deshayes, en 1712, vont éditer des contredanses importées d’Angleterre (telle la célèbre contredanse Greensleeves ou Les manches vertes) dont l’air est mentionné dans des rondes éditées en 1724 par l’imprimeur Ballard

Raoul Auger Feuillet publie aussi en 1706 Excuses my. On retrouve cet air dans plusieurs cahiers manuscrits de musique que des joueurs de vielle possédaient ; ouvrages que nous datons du XVIIIe siècle. Son nom était alors gigue ou [Jig] vu son titre, resté en anglais. Elle faisait donc partie des contredanses anglaises importées d’Angleterre dansées en longways.
Mais c'est noté cette fois-ci en 6/8 et non plus en 6/4.

Une interprétation à la vielle à roue

Pour travailler sur tous les airs de contredanses notés dans les ouvrages retrouvés par nos soins et datés de l’époque de la Régence de Philippe d'Orléans, pendant la minorité de Louis XV, (plus de 1800 mélodies), il est intéressant de se rapprocher de danseurs, exerçant dans un autre milieu. Après une analyse minutieuse il s’avère que tous les airs que les éditeurs de l’époque ont nommé « contredanse » ne faisaient pas forcément partie de ce genre de danse !
Nous nous sommes donc rapprochés d'une compagnie de danses Révérences dirigée par Yvonne Vart.
Yvonne Vart a, conjointement avec Alain Riou, mené de nombreux dépouillements à partir du mot « contredanse » tant à la Bibliothèque Nationale de France qu’à la Bibliothèque de l’Opéra de Paris. Notre premier travail a été de rassembler nos dépouillements respectifs dans notre banque de données Cythère ce qui nous a permis de constater que les contredanses (air et chorégraphie) qu’Yvonne a étudiées et recréées, datent des années 1760 et surtout des années 1770, allant même jusqu’au tout début du XIXe siècle ; alors que les airs de contredanses que nous avions précédemment saisis dans notre banque de données Cythère sont plus antérieurs. Nos sources musicales ne comportent pas de chorégraphies à part le Ms de Durlach conservé à Karlsruhe (Allemagne).
Le manuscrit de contredanses de Durlach
Dans les deux tomes de ce manuscrit, nous y trouvons 9 cotillons, 17 contredanses à 4 danseurs, 2 contredanses à 8 danseurs, 14 contredanses anglaises (en colonne) Nous pouvons constater facilement que la disposition de la mélodie et des déplacements se présentent comme dans cet ouvrage dont la 2eme édition date de 1701.
Nikoline Winkler, ayant étudié ce manuscrit, avance un élément de datation. Les premières danses se retrouvent à partir du début de la deuxième décade du XVIIIe siècle, mais à cause de la présence de la danse « La Régence », cette source ne peut pas être datée avant 1715.
Un extrait de ce manuscrit de contredanses Les quatre faces




Comme ce manuscrit mentionne une personne Lavigne maître à danser, j’ai cherché quel pouvait être ce personnage : Lavigne

Ces recueils de danses ont très vite intéressé tous les notables de l’Ancien Régime pour se divertir dans les bals organisés chez eux, puis par la suite dans les bals publics. On les retrouve de nos jours dans de nombreuses bibliothèques, privées ou publiques, sans oublier l’intérêt qu’ont porté les bibliophiles du XIXe siècle pour tout ce patrimoine de l’Ancien Régime, admirant la reliure luxueuse de ces recueils comme Bernard Steele, un Américain ayant collaboré avec un éditeur parisien.

C’est donc dans les années 1760 que la vogue de la contredanse a pris son essor avec l’édition de nombreux recueils de danses comme par exemple Le 1er recueil intitulé Le répertoire des bals ou théorie pratique des contredanses… du Sieur De La Cuisse daté de 1762.

De nombreux collecteurs éditent alors des contredanses « à la feuille » : une page de titre, une page d’explications, une page de dessins et une 4ème pour la musique


Le Sieur De la Cuisse, représente chaque élément de figure, chaque chemin suivi par les 8 danseurs dans des petits carrés, la figure entière tenant sur une page :

Pour la 12ème contredanse du catalogue, il imagine, en plus des symboles, de dessiner de petits personnages. Mais il ne le fera que pour 2 contredanses, et continuera dans la forme plus simple des croquis.


Nous avons retrouvé dans les bibliothèques cinq volumes complets, un 6ème incomplet qui porte à 177 titres les descriptions du Sieur De La Cuisse.
D'autres éditeurs comme Pierre-André Landrin et Bouin adoptent ce système à partir de 1765 et éditeront environ 300 contredanses pour le premier et plus de 600 pour le second.
Ces contredanses font alterner, comme dans le cotillon, un refrain, enchaînement complexe de déplacements et de figures géométriques propre à chaque contredanse, et une série d’entrées ou syncopes qui se succèdent de façon identique dans toutes les contredanses : le grand rond, la main, les deux mains, le moulin des dames, le moulin des cavaliers, le rond des dames, le rond des cavaliers, l’allemande et le grand rond ; on danse ainsi, après chacune de ces syncopes neuf fois la même figure.

Les pas, expliqués par le Sieur De La Cuisse au début de son ouvrage sont toujours ceux qui avaient été ajoutés par André Lorin aux country dance anglaises.

Une contredanse alternant des figures parfois fort longues répétées neuf fois et les neufs syncopes pouvaient durer un temps non négligeable : "on dansa une contredanse qui dura une heure" dit Casanova dans ses mémoires.
Les pots-pourris de contredanses
Progressivement vont donc apparaître, pour enlever un peu de monotonie, des pots-pourris, d’abord de deux contredanses (se succédant alternativement après chaque syncope) ; pouvant ensuite aller jusqu’à l’enchaînement de neuf contredanses différentes, une pour chaque syncope, avec neuf airs de musique différents ! comme chez André Landrin.

Chez Bouin la musique est sur une page

les explications des chorégraphies sur une autre, se sont nettement simplifiées.

L’éditeur Frère en éditera jusqu'en 1800


Le quadrille, sous le Premier Empire (1804)
Cette évolution se fait au détriment de la figure qui va se simplifier et se stéréotyper.
Vont alors se fixer cinq figures qui vont perdre leurs syncopes et former le quadrille de contredanses, que l'on appellera plus tard Quadrille Français.


Dès le Directoire les 3 premières figures sont figées : ce sont le pantalon, l’été et la poule ; la 4ème peut encore être choisie entre la pastourelle, la Trénis, la polonaise… ; diverses « combinaisons de finales » sont proposées pour la 5ème, le plus souvent constituée d’un chassé-croisé suivi de la figure de l’été. La figure se simplifie, mais, aux pas d’André Lorin, dits maintenant pas « baroques », se substituent quantité de pas de ballet, qu’il faut danser les pieds tournés en dehors, les jarrets et les coude-pieds tendus, tout en donnant beaucoup de moelleux à la danse.

Il faudra attendre 1830 pour que l’on se contente de marcher ces figures de quadrille, ce que déplorait la jeune fille qui ne pouvait plus placer les beaux pas appris auprès de son maître de danse. La rupture n’est pas dans la chorégraphie mais dans les pas utilisés qui passent de ceux de la danse dite « classique », à une simple marche réalisable par tous.
Cette contredanse, qui pénétra nos frontières au début du XVIIIème siècle, dominera par sa descendance les bals français pendant plus de deux siècles.
Bibliographie : J.M. GUILCHER : la contredanse ou le renouvellement de la danse française (Mouton, 1969)
Transformation des figures
lors de la survivance en milieu populaire
Un exemple dans les Alpes de Haute-Provence
Essai de reconstitution de danses traditionnelles par Luciana Porte-Marrou auprès d'un habitant d'Allos Emile Lantelme, un alpin des Alpes de Haute-Provence. Emile Lantelme avait été collecté, quelques années plus tôt, par le majoral du Félibrige, Jean-Luc Domenge.

Une fois sorties de l’hexagone, ces contredanses ont évolué différemment, comme à Santiago de Cuba où un groupe folklorique La Tumba franceses les danse encore….
Pour plus de détails, visionnez notre article sur le voyage d’Étude que nous avons effectué à Santiago de Cuba en 2002 avec notre groupe de musiciens français et cubains Frances Cafe
Dans ces lieux de divertissements c'est aussi l'époque des allemandes, des valses, des pas redoublés, des pas accélérés...
Françoise Bois Poteur C.E.D.P.I. - Mars 2025
Cet article est la collaboration entre Yvonne Vart, qui a dépouillé les partitions de contredanses de la fin du XVIIIe siècle et Françoise Bois Poteur qui a dépouillé un grand nombre de cahiers manuscrits ou édités datant plutôt de l'époque de la Régence de Louis XV
