Les aventures de Giacu et Pierrotin
Programme illustré
Prises de vues et enregistrements en direct lors de nos représentations devant public. Veuillez nous excuser pour les imperfections.
Suite à notre travail de recherche sur le sujet des « Itinérances musicales entre le duché de Savoie et Paris du temps de Louis XIV et de Victor Amédée II », nous avons monté un spectacle à partir de mélodies et de chansons, souvent inédites de nos jours, que le public a ainsi pu apprécier.
Cette fiction historique se veut dans la lignée des premiers ballets de Cour mêlant l’apport italien à la tradition française. Ces ballets, après avoir été donnés à la Cour, en présence et avec la participation du roi et de ses courtisans, étaient repris chez les riches particuliers à Paris et en province dès le XVIIe siècle.
En voici le programme, agrémenté d’explications, de photos, de vidéos et d’airs à écouter.
Le spectacle commence par la rencontre de Giacu et Pierrotin sur le chemin de retour vers leur vallée alpine respective, on entend en fond sonore un extrait du Ballet de l’Impatience, appelé aussi le Ballet Royal, ballet de cour qui fut donné pour la première fois au Louvre le 19 février 1661 avec la participation au prologue italien de Jean-Baptiste Lully. Ici Françoise Bois Poteur a choisi d’interpréter sur sa vielle l’air pour les aveugles, titre mentionné sur l’ouvrage original
Le Ballet de l'Impatience
Les Espagnols en Italie une chanson historique dont voici les paroles :
Les Espagnols en Italie
Sans feu ni lieu,
Disaient voyant la Lombardie,
Hélas, bon Dieu !
Les passages nous sont fermés !
Quelle misère !
Et sommes pis que Réformés
Tous maudits du Saint Père.
Dom Philippe pour sa conquête,
S’était voué
A Notre Dame de Lorette,
Dieu soit loué !
Mais n’ayant pu, suivant son vœu,
S’y rendre à Pâques
Il aura du Pape l’aveu
De le faire à Saint Jacques.
Admirant de l’Infant d’Espagne
La piété,
Son cousin, le roi de Sardaigne,
Par charité,
Sur sa route fait tout pourvoir
Jusqu’à Modène,
Afin de le bien recevoir,
Si Montemar l’y mène.
En partant, sa dolente mère
Lui dit : mon fils,
Prenez votre route par terre,
C’est mon avis
Tant mieux, maman, je passerais
Chez mon beau-père
Outre cela, j’éviterai
La flotte d’Angleterre
Sans nul risque du Sud au pole ;
Bien embarqué,
Pendant le règne de Walpole
J’aurais vogué :
Mais Capillo n’a rien su voir
Dans cette allure,
Et Fleury ne pouvait prévoir
Cette mésaventure.
Sujets de mon tranquille père,
Adieu, bon jour,
Priez avec mon très cher frère,
Pour mon retour.
Si je reviens, vous me verrez
Modeste sage,
En attendant vous payerez
Les frais de mon passage.
Quelques éléments historiques pour mieux comprendre : À cette période, les discordes entre pays faisaient rage autant dans le Nouveau Monde que sur notre continent. Les Anglais assiégeaient la ville de Carthagène. La France, dont la marine n’était pas en position de force, ne se déclarait pas ouvertement mais le Ministre de France, Fleury, secourait les Espagnols autant qu’il était en son pouvoir. Le roi d’Espagne Philippe V [Dom Philippe] avait commencé par faire débarquer en Italie un corps de troupe qui s’avançait vers Ferrare sous la conduite du duc de Montemar (célèbre par la victoire de Bitonto et plus tard par sa disgrâce). Mais il dut renoncer. Il écouta les conseils de sa mère et repartit par voie de terre avec d’autres troupes, pour attaquer le roi de Sardaigne, qui avait refusé de s’allier avec lui. La Majesté sarde, ouvrait et fermait à son gré les portes de l’Italie du côté des Alpes. Elle occupait 40 000 Français et autant d’Espagnols dans ce pays-là, et ils se consumaient en vains efforts ; efforts qu’ils auraient pu employer ailleurs avec plus de succès. Après être rentré dans le duché de Savoie et s’en être rendu maître, Dom Philippe fut obligé de se retirer et de repasser en Dauphiné. On fit sur son voyage cette chanson.
Aila n’aqueu jardi
C’est un thème de chanson galante et certains avancent que l’auteur de ses paroles serait Jean-Charles Passeroni, originaire de Lantosque, dans les Alpes méridionales. Celui-ci a vécu durant la deuxième moitié du XVIIIe siècle et semble avoir été un poète reconnu de son temps. La mélodie que nous faisons entendre est restée dans la mémoire des Alpins, mais avait-elle été choisie au moment de l’écriture du poème ou a-t-elle été choisie plus tardivement ? La question se pose.
Il est souvent difficile pour ne pas dire impossible de déterminer le nom du compositeur des chants que nous présentons. C’est grâce aux mémoires du Sieur D’Assoucy qui ont été publiées en 1677 que nous avons pu prendre connaissance de son existence et des péripéties de ses voyages. Il était poète, compositeur et luthiste. Nous avons retrouvé quelques-uns de ses chants, dont celui-ci : Il est bien temps, adorable Princesse… figurant dans un recueil daté de 1653 et dédié à la duchesse de Savoie.
O filli et filiae
C’est un cantique du temps de Pâques et non un noël comme on le dit souvent ; ici nous avons choisi de faire alterner les paroles en latin et les paroles en provençal.
Jacotin
Voici un cantique sur le thème de la nativité, ce que l’on nomme de nos jours un « noël ».
Il daterait du milieu du XVIe siècle et les paroles sont en patois savoisien. Le premier couplet montre bien que ces cantiques de Noël étaient bien souvent plus populaires que religieux.
Robin
Autre cantique sur le sujet de la nativité, toujours daté du milieu du XVIe siècle. On réveille Robin pour aller voir le nouveau-né, on se moque des bourgeois et on les invite à venir se joindre au peuple, pour la circonstance.
Menuet des danseurs de cordes
Parmi les nombreux menuets de cette époque nous avons choisi cet anonyme qui représente bien l’ambiance des foires de Paris.
C’est un air que nous avons retrouvé dans un cahier manuscrit de mélodies adaptées pour vielle ayant appartenu à Mr Le Rebours (voir notre ouvrage Les cahiers de musique et airs à la mode de 1653 à 1842 en vente dans notre boutique en ligne
Voici une œuvre de Jean-Baptiste Lully, qui faisait partie du répertoire d’un vielleux dénommé Janot, comme nous le rapporte Antoine Terrasson, historien du roi, dans son ouvrage sur la vielle publié en 1741. Cet air est extrait de Thésée, tragédie sur un livret de Philippe Quinault, mise en musique par Jean-Baptiste Lully, qui fut donnée pour la première fois à Saint-Germain-en-Laye, le 11 janvier 1675.
L’extrait s’appelle la Descente de Mars
La chaconne des Savoyards une œuvre de Philidor l’aîné
C’est dans le corpus du théâtre que nous avons retrouvé le texte de la Mascarade des Savoyards. Est mentionnée dans ce texte, l’existence d’une chaconne qu’André Philidor a composée tout spécialement. Nous possédons plusieurs recueils d’airs à danser de ce compositeur et dans l’un de ces recueils nous avons retrouvé la partition de cette chaconne.
Voici maintenant un extrait d’Ercole Amante ou Hercule Amoureux, un ballet-intermède qui fut donné pour la première fois dans la salle des Machines des Tuileries à Paris le 7 février 1662 ; la musique était de Francesco Cavalli et les chorégraphies de Jean-Baptiste Lully. Nous avons choisi le passage dans lequel la vielle est jouée par des pèlerins.
Tousjours de celle me souvyn est une chanson savoyarde que le musicologue Julien Tiersot a notée dans son ouvrage Chansons populaires des Alpes françaises. Il l’a lui-même reprise de l’ouvrage du médiéviste Gaston Paris édité sous le titre Chansons du XVe siècle.
Le texte est en savoisien du XVe siècle, mais il est pourtant aisé d’en comprendre le sens. Un jeune homme a des intentions de mariage envers une jeune fille. Mais celle-ci se montre si maladroite dans les tâches ménagères quotidiennes, qu’il finit par y renoncer.
Mon paire aussi ma maire que nous nommons par le prénom de l’héroïne, Catarina.
sur l’air d’une ronde, d'un auteur anonyme « dans le goût des porteuses de marmottes ».
Mon paire, aussi ma maire
M’ont voulu marida
Derida
A c’ta saison dernière
Avec un avocat,
Refrain
Hé ! coussi coussa,
A c’t heure-là,
Le pauvre amant que voilà !
Dans ma chambre endormie,
Un jour il me trouva,
Derida,
Il dit « dormez ma mie »,
Et doucement s’en va
Refrain
Au bois sous ces coudrettes,
Seulette il me mena,
A chercher des noisettes,
Le nigaud s’amusa
Refrain
Sur l’herbette nouvelle,
D’ennui je sommeilla,
Derida
Il faisait sentinelle,
Pour qu’on ne m’éveilla
Refrain
Un vent à l’improviste,
Mon mouchoir détacha
Derida
De son capel bien vite,
Le nigaud me cacha
Refrain
Un cousin malhonnête
Sur le sein me piqua
Derida ;
Le sot tourna la tête,
Et me laissa, chercha.
Refrain
C’ta piqûre profonde
Me fit évanouir
Deridi
Pour appeler du monde
Il se mit à courir
Refrain
Par-là, par aventure,
Passa mon Savoya,
Derida ;
Il pansa ma blessure,
Et me faisa sauta
Refrain
Hé [youpli, youpla]
A cet’heure-là,
Sauta la Catarina.
Si mon zèle sincère
Messieurs, ne déplaît pas
Derida ;
Le désir de vous plaire,
Toujours m’animera,
Refrain
Hé ! coussi ; coussa,
A c’t’heure-là,
Que n’ai-je ce bonheur-là.
Une sonate de Venceslas Spourni dédiée au Prince de Carignan.
Pour plus de détails sur ce Prince de Carignan lire notre article itinérance, chapitre "les salons"
Notre Duc mal à son aise
Voici une chanson satirique qui permet de se familiariser avec les guerres qui se sont déroulées en Savoie entre Français, Espagnols et Anglais.
Nous sommes en 1703, les Parisiens en ont assez de tous ces indigents savoyards venus les envahir, d’autant plus que leur colère monte contre le duc de Savoie, qui s’est montré ingrat envers le roi de France. Mais ses volte-faces ne s’arrêtent pas là. Il a installé sa fille sur le trône de Castille et peu de temps après il a pris les armes contre l’époux de celle-ci. Une autre de ses trahisons a pour but d’obtenir la ville de Gênes, mais il ne l’obtiendra pas, et on le traite de « roi de la lune ». Il s’allie aussi avec la famille aristocratique portugaise de Bragance… Dans cette chanson, on lui reproche donc ses manœuvres incessantes, à l’origine de guerres perpétuelles qui poussent beaucoup de ses sujets à quitter leur pays. Dès le XVIIe siècle, les ramoneurs savoyards sont bien connus des Parisiens et ils le seront jusqu’au XXe siècle…
Le cardinal Dubois
C’est d’un recueil intitulé Chansonniers historiques du XVIIIe siècle de Clairambault-Maurepas dans la rubrique « scènes comiques » que nous avons extrait ces paroles :
Or écoutez la nouvelle
Qui vient d’arriver ici
Rohan, ce commis fidèle,
A Rome a bien réussi.
Mandé par Dubois, son maître,
Pour acheter un chapeau,
Nous allons le voir paraître
Et couvrir son grand cerveau.
Que chacun se réjouisse !
Admirons sa Sainteté,
Qui transforme en écrevisse
Ce vilain crapaud crotté.
Pour mieux connaître ce personnage qu’était Dubois, nous avons consulté cet ouvrage, publié en 1783.
Sur une des pages de cet ouvrage, une personne a noté « Par Bouffonidor, attaché au chevalier Zino, autrefois ambassadeur de Venise en France ».
Nous sommes à la passation de pouvoir après la mort de Louis XIV, sous le régent Philippe d’Orléans et au début du règne de Louis XV.
Dans cet ouvrage, on peut lire que Louis XIV a laissé au jeune Louis XV un héritage bien lourd dont celui du danger de la présence des prêtres dans les différentes cours. Le Régent, Philippe d’Orléans, souhaitait détrôner le petit-fils de Louis XIV, Philippe V d’Espagne et pour y parvenir s’est allié avec l’Angleterre. Cette alliance obligea le jeune Louis XV à faire la guerre contre son oncle, alors que Louis XIV avait dépensé tant d’efforts à mettre en place cette alliance avec l’Espagne.
En 1724, Louis XV a 14 ans et c’est à ce moment-là qu’il prend réellement les rênes du pouvoir et confie la place du Ministère à un parvenu, très mal considéré par l’opinion publique : le cardinal Dubois. Un homme qui s’adonnait facilement aux plaisirs et aux excès de toutes sortes. Mais qui était-il ? C’était le fils d’un apothicaire protestant de Brive-la-Gaillarde. Il aimait autant la débauche que le régent Philippe d’Orléans, dont il était l’instituteur en 1716. En 1717, on le retrouve ambassadeur plénipotentiaire, ce qui l’amène à signer un traité de paix à La Haye et en 1718, à Londres, celui de la pacification de l’Europe. À son retour de Londres, on lui confie le département des affaires étrangères et il fait tout ce qui est en son pouvoir pour devenir archevêque de Cambrai en 1720. C’est comme cela qu’il réunit peu à peu une fortune personnelle, mais le Régent s’en jouait et on disait qu’il « ressemblait à ce pape qui fit cardinal son Porte-singe ».
Dubois s’était marié mais avait quitté sa femme pour aller faire carrière à Paris. Pour cacher son acte de mariage aux yeux de tous, il trouva une solution radicale : faire déchirer la page sur laquelle cet acte était inscrit ! Lorsque Dubois avait émis le souhait de devenir archevêque, cela avait fait rire le Régent mais Dubois avait été si convaincant que Philippe d’Orléans avait fini par accepter. Le pape Clément XI voulut bien l’accorder à condition qu’il puisse destituer les cardinaux De Noailles et Alberoni. Mais, Dubois dut pour cela rentrer dans les « ordres », ce qui allait déplaire au roi d’Angleterre Georges 1er, puisqu’il allait renier la religion protestante…C’est une fois devenu cardinal qu’il obtint le titre de Premier Ministre mais sa mort survint peu après. « Les Français rirent de sa mort, comme de son ministère ; tel était le caractère de la Nation », comme l’a dit Voltaire .
La Peronnelle une chanson narrative
Elle aborde un thème fréquent dans les chansons traditionnelles françaises, celui de la fille enlevée par des « gens d’armes ». On y perçoit la peur qui régnait dans les campagnes à ce sujet. Ici elle refuse de suivre ses frères qui veulent la ramener dans sa famille. Parce qu’elle se sent déshonorée ? On peut le penser. Dans d’autres chansons, la fille se déguise en homme plutôt pour retrouver son amant…Cette version se trouve dans un manuscrit conservé à la Bibliothèque Nationale de France sous la cote fr. 12.744 ; manuscrit qui porte sur le dos de sa reliure (probablement réalisée au tout début du XIXe siècle) la mention « Anciennes chansons françaises ». Il fut édité et étudié par Gaston Paris (1839-1903), célèbre médiéviste, pour qui c’est le seul manuscrit où figure la totalité du texte. Il en repère quelques vers dans une farce du milieu du XVIe siècle.
L’allusion au Dauphiné a poussé, entre autres, Julien Tiersot (1857-1936), dans son ouvrage Chansons populaires des Alpes françaises, à penser que le sujet abordé serait un souvenir des campagnes d’Italie de Charles VIII et Louis XII, effectuées de 1494 à 1559. Mais cette chanson fait surtout allusion au fait qu’au Moyen Âge, lorsque quelqu’un voulait s’enfuir, il lui suffisait de passer dans une région où le pouvoir royal ne s’exerçait pas totalement, ce qui était le cas du Dauphiné.
Il est souvent périlleux d’essayer de dater les chansons anciennes, tant qu’elles ne comprennent pas une allusion à un fait historique précis. Et ce n’est pas le cas ici.
D’autre part, Julien Tiersot nous dit qu’il n’en a pas rencontré une seule version dans ses collectages en Savoie et en Dauphiné, mais il ajoute quand même qu’il en a trouvé une variante dans le Canti popolare del Piemonte du Comte Nigra.
Av’vous point veu la Peronelle
Que les gendarmes ont emmenée ?
Ils l’ont habillée comme un paige
C’est pour passer le Dauphiné
Elle avait trois mignons de frères,
Qui la sont allez pourchasser
Tant l’ont cherchée que l’ont trouvée
A la fontaine d’un vert pré.
Et Dieu vous garde la Peronnelle !
Vous en voulez point retourner ?
Et nenny vraiement, mes beaulx frères.
Jamais en France n’entreray.
Recommandez moi à mon père
Et à ma mère sil vous plaist.
Et Dieu vous garde la Peronnelle !
Vous en voulez point retourner ?
Et nenny vraiement, mes beaulx frères.
Jamais en France n’entreray.
Recommandez moi à mon père
Et à ma mère sil vous plaist.
Que li venias faire
Comme on en avait l’habitude sous l’Ancien Régime, Les aventures de Giacu et Pierrotin finissent par une danse. La mélodie chantée que nous avons choisie était un air de rigaudon à l’origine. Dans les Alpes françaises quand on l’a collectée au tout début du XXe siècle, c’était alors un air de quadrille. C’est un branle que nous dansons dessus, car sa structure le permet. Et tout un chacun peut entrer ainsi facilement dans la danse.
Que li venias faire
Françoise Bois Poteur - Décembre 2019