La majorité des "timbres"
notés dans les recueils que nous avons dépouillés et qui sont encore
connus comme airs "traditionnels" au XIXe siècle nous amène
incontestablement à la Provence. Ceci peut paraître à première vue
étrange puisque nous travaillons à partir d’un répertoire d’instruments
à bourdons et que ces derniers ne sont pas connus comme "instruments
traditionnels provençaux". Mais notre vision actuelle "d’instruments
traditionnels" est basée sur une "tradition" datant de la deuxième
moitié du XIXe siècle.
Revenons
sur les évènements essentiels qui sont survenus au début du XIX
e
siècle, vers 1840 : l’extension du chemin de fer et la révolution
industrielle. L’identité de chaque région a été remise en cause et pour
la revendiquer celles-ci ont institué une "tradition" pour les
représenter. Cela se situe au niveau de la langue, du costume, des
fêtes, de la danse, de la musique, des instruments…
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Exemples : |
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La
vielle n’est entrée dans la tradition régionale du Berry qu’au moment
de l’extension des Sociétés de Musique comme "les Gâs du Berry" vers
1888. |
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De
même, le galoubet/tambourin n’était pas particulièrement provençal au
XVIIIe siècle. |
Étudions
maintenant plus en profondeur l’histoire sociale de la Provence aux
XVIIIe et XIXe
siècles.
C’est
essentiellement un pays d’habitat groupé : de villages, d’où la
sociabilité légendaire du provençal ; c’est aussi une région
relativement assez peuplée, en comparaison avec d’autres à la même
époque, avec de nombreux centres urbains. À quelques kilomètres de
distance nous avons : Avignon capitale du Comtat Venaissin, longtemps
cité papale ; Arles ; Marseille ; Aix en Provence, la capitale ;
Toulon, le port militaire ; et en Provence orientale : Grasse, située à
la jonction de l’Italie et de la Provence maritime.
Tous
ces centres urbains avaient à la fin du XVIIe
siècle une vie intense au niveau artistique et culturel. À
Aix-en-Provence tout le quartier au-delà du Cours Mirabeau a été
construit à cette époque-là. Si on en croit Bérenger auteur des
"soirées provençales" (1787) les mœurs y étaient bien dépravées ; à
Marseille, pour enrayer la passion du jeu dans la ville, le maréchal de
Villars écrivait à l'intendant Lebret en 1724 "la musique, l'opéra, la
comédie et tout le spectacle, tant qu'ils voudront ; je leur enverrai
même, s'ils le veulent des danseurs de corde et de marionnettes."
Pour
n'aborder que le côté musical, nous pouvons mentionner parmi les
compositeurs célèbres de cette époque une proportion assez importante
de Provençaux comme : Jean-Joseph Mouret, Jean Gilles… Tous sont partis
s'installer à Paris pour continuer leur carrière ; d'autres
compositeurs sont venus séjourner dans cette région comme : André
Campra originaire du Piémont, Joseph Bodin de Boismortier, Casannea de
Mondonville… Ceci explique l'échange incessant entre la capitale et
cette province, et cela dans les deux sens.
* Exemple
:
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J.-J.
Mouret, né en 1682 et
élevé à Avignon fut imprégné dès son plus jeune âge des airs
d'inspiration populaire comme les Noëls de Notre Dame des Doms. Nous
savons que ces mélodies étaient en majorité d'origine française et non
provençale. À l'inverse, il incorpore dans ses opéras ballets des
éléments typiquement provençaux ; puisqu'en 1722 il rajoute aux "Fêtes
de Thalie" une entrée appelée "la provençale" comprenant des couplets
en langue provençale ; mais aussi deux contredanses :"la calotine" et
"la farandoule" qu'il fait interpréter sur le flûtet-tambourin.
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Tous ces airs, qu'ils
soient composés par un compositeur ou seulement parodiés par ce
dernier, font partie du répertoire des vielleurs. Comment ces derniers
ont-ils pu y avoir accès ? Rappelons que Mouret et Campra lors de leur
séjour dans la capitale se firent connaître par leurs œuvres écrites
pour l'Opéra comique et les grandes foires de Paris… où nous avons vu
que l'on jouait de la musette et de la vielle.
Nous venons de démontrer
les nombreuses passerelles musicales existant entre Paris et la
Provence au XVIIIe
siècle.
Voyons maintenant comment
ces mélodies ont survécu dans le répertoire dit "traditionnel " de
cette
région.
Lorsqu'on parle de musique
populaire, traditionnelle, on pense presque toujours à une musique
représentant les paysans et on oublie trop souvent la musique urbaine ;
cela doit être dû au fait que les villes, par le métissage continuel de
leur population, font évoluer très vite les coutumes - surtout dans des
régions très passagères comme ici - et celles-ci se réfugient alors
dans les campagnes et y demeurent beaucoup plus longtemps.
Mais lorsque la région,
comme ici la Provence, a été de tout temps fortement urbanisée, le
répertoire populaire urbain prend le dessus sur celui des campagnes.
Comme
nous avons vu, qu'au
XVIIIe siècle, airs
d'inspiration populaire et airs de Cour étaient très fortement liés en
s'influençant mutuellement, il devient logique de rencontrer dans la
musique "traditionnelle" provençale de nombreux airs déjà notés au
XVIIIe siècle que ce
soit dans des recueils édités en Provence ou à Paris.
Mais ces airs nous sont-ils
parvenus grâce à l'écrit ou par l'oralité ?
Il est difficile de
répondre à cette question, mais faut-il se la poser ? Il ne faut pas
oublier que le mot "tradition" vient du verbe "tradere" qui veut dire :
transmettre, et cette transmission concerne des éléments permanents
d'une société mais rien ne précise si c'est par l'écrit ou par
l'oralité. Une chose est certaine, le rôle qu'ont joué les Cantiques et
particulièrement les Noëls a été primordial.
La lutte discontinue entre
Jésuites et Jansénistes tout au long du XVIIIe
siècle a été marquée par
une très importante production de cantiques. On reprenait des timbres
connus de tous pour que tous les fidèles puissent les chanter ; et il
faut préciser que ces cantiques ou ces Noëls étaient à l'origine
interprétés non pas à l'église mais dans les foyers, le soir à la
veillée. Les textes rencontrés sont autant en français qu'en langue
vulgaire (provençal). H. A. Durand dans son article sur "le folklore
provençal et les prohibitions du Concile d'Avignon de 1725" (in revue
Provence Historique) nous précise que le synode diocésain de 1712
"recommandait aux maîtres de musique des chapitres de veiller à ce que
la composition de leurs chants fût pure de toute inspiration profane…
que le chant de noëls en langue provençale serait toléré que le jour de
la fête… parce que adapté aux fidèles les plus ignorants… En effet sous
l'influence de Nicolas Saboly (1614-1675) les noëls provençaux étaient
devenus de véritables chansons d'actualité et tournaient à la satire".
Nous
mentionnons ce fait pour expliquer la relation étroite entre airs
populaires profanes et cantiques ou Noëls. Ces derniers, étant présents
dans le milieu religieux ont été notés à maintes reprises par des
membres du clergé. Donc ces airs sont arrivés aux oreilles du peuple
provençal par l'écriture. Comme nous l’avons déjà vu dans d'autres
régions c'est sous une forme simplifiée, intégralement ou souvent en
partie qu'ils sont passés dans le répertoire traditionnel oral de cette
région.
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Exemple,
l'air de "Toureloure" est :
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noté
comme Noël par Saboly vers 1679, "sur l’er de Bourgogne" comme nous le
précisent les auteurs
de la réédition de 1925
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noté
de nouveau en 1759 dans "le recueil de cantiques spirituels provençaux
et françois/À Paris/" |
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on
le trouve encore dans le répertoire provençal transmis par l'oralité |
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noëls de Saboly - Provence
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Autre
exemple : l'air intitulé "qu'ils sont doux" ajusté par E. Ph.
Chédeville dans son "2e
recueil de vaudevilles, contredanses…" devient chez Nicolas Saboly
"Vènes lèu,"…avec une variante dans la deuxième partie.) |
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"Qu'ils sont doux" / "Venès lèu", noëls
provençaux |
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"Venès lèu...", noël provençal (paroles) |
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Dernier
exemple : l'air de la contredanse "l'hirondelle" (in Ms 3643) est
encore joué en Provence pour faire danser "lei courdello", une ancienne
danse provençale comme nous l'annonce F. Vidal dans son ouvrage "lou
tambourin". Pourtant la danse des courdello n'a aucune
similitude avec une contredanse. |
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L'Hirondelle, contredanse / Danse des
cordelles, Provence |
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Danse des cordelles - Provence (texte et
paroles) |
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Ces
relations entre airs de danse français du XVIII
e
siècle et Noëls provençaux du XIX
e
siècle ne sont en fait pas illogiques car, Mr Perrin au XVIII
e
siècle dans son "drame pastoral sur la naissance de Jésus Christ…"
prend comme timbre pour en faire des airs de Noëls quelques airs
profanes français comme :
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"Frère
André disait à Grégoire"
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"La
duchesse Nouvelle" (contredanse in Ms 3643) |
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"La
royalle" (contredanse in Ms 3643) |