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Fanchon la
vielleuse
est un
de ces nombreux personnages qui ont marqué les esprits à leur époque et
dont la légende s’est emparée.
«
Fanchon
et les migrants savoyards » était le thème du Festival
de Haute-Siagne, du 18 au 23 Août 2014
à Saint-Cézaire-sur-Siagne – Pays de Grasse.
Mme
Belmont
dans le rôle
de Fanchon – coll. privée
Les
auteurs de Fanchon
La Vielleuse, « comédie en trois actes mêlée de
vaudevilles » représentée pour la première fois en janvier 1805 sur le
théâtre du Vaudevillle à Paris avouent curieusement : « Avec quel
plaisir nous avons saisi l’idée de mettre en scène une pareille femme !
Les erreurs qu’on lui reproche ne nous ont point arrêtés. Avec notre
respect pour les mœurs, nous ne pouvions être immoraux ; et, laissant à
la chronique tout le mal qu’elle prêtait à Fanchon, nous avons
recueilli le bien plus réel que nous ont dit de la vielleuse une foule
de vieillards aimables et d’hommes d’un rang distingué, qui chérissent
et honorent sa mémoire. »
Effectivement,
la pièce est
édifiante et attribue à Fanchon, devenue riche, une moralité sans
faille. L’énorme succès de cette comédie-vaudeville a contribué
largement à la popularité du personnage qu’elle met en scène. Et tout
au long du XIXe
siècle, on retrouve dans de nombreux vaudevilles, drames et autres
romances, une Fanchon la vielleuse devenue mythique, partie de la rue,
certes, archétype de la vielleuse venue de Savoie à Paris mais
finissant sa vie, riche et honorée. N’oublions pas qu’un mouchoir, ou
fichu, porté sur la tête et noué sous le menton s’appelle depuis 1828 «
une fanchon », signe évident, s’il en fût, de la célébrité de notre
vielleuse et de ses représentations dans les gravures et les dessins.
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Source
BNF
Collection
privée
Mais
tel n’est pas le
portrait qui ressort, non pas de la « chronique » mais du Dictionnaire
critique de Biographie et d’Histoire auquel l’archiviste Auguste Jal a
consacré des années de sa vie (1re édition 1867, 2e édition 1872). Il
est important de noter que cet éminent spécialiste avait effectué ses
recherches avant que les incendies du Palais de Justice et de l’Hôtel
de Ville ne détruisent une grande partie de leurs archives en mai 1871.
D’autre part, ses dires sont confirmés par les divers dépôts de
plaintes et procès verbaux réunis par Barry Russel (1943-2003) et
consultables sur le site Internet Le Théâtre de la foire à Paris.
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Il
apparaît que Fanchon, qui
prétendait parfois être arrivée du comté Nice « avec sa vielle sur
l’épaule », était en fait née à Paris. Auguste Jal cite l’acte de
baptême figurant au registre de Saint-Jacques-du-Haut-Pas : « Le 15
mars 1737, Françoise Chemin, née d’hier, fille de Laurent Chemin,
gaigne-deniers, et de Roze Chemin sa femme, a esté baptisée ; le
parrain a esté Sébastien Bernard, gaigne-deniers, et la marraine
Françoise Bernard, femme d’André Chemin, tous deux de la comté de Nice
et actuellement de cette paroisse. » Il sait aussi que le grand-père de
Fanchon, André Chemin, « gagne-denier et musicien » était à Paris dès
1732 avec son frère Jean-Louis. Toute la famille était donc arrivée
bien avant la naissance de Fanchon et faisait partie de ces nombreux «
savoyards » qui « venaient chercher leur vie en France, ramoneurs,
commissionnaires, joueurs de vielle, montreurs de marmottes ou de
lanterne magique, gagne-deniers enfin, comme on appelait tous les gens
qui faisaient dix métiers sans en avoir un réel ».
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Anonyme
vers 1750 église
de
Saint-Étienne-de-Tinée
(Alpes Maritimes) On
la
maria le 10 février
1755 à l’âge de 18 ans avec Jean-Baptiste Ménard « natif de
Saint-Étienne près Nice » (vraisemblablement Saint-Étienne-de-Tinée,
aux environs de Barcelonnette), âgé, lui, de 26 ans.
Selon
les quelques documents
d’archives la concernant, il apparaît que Françoise Chemin a eu une vie
conjugale passablement agitée, on la voit même déposer plainte contre
son mari, l’accusant de la maltraiter.
Auguste Jal a retrouvé cinq actes de
baptêmes d’enfants nommés Ménard mais sur les trois derniers figure la
mention « le père absent »,
ce qui sous-entend qu’ils ne sont pas de
lui et ne plaide pas vraiment pour une moralité exemplaire de la
véritable Fanchon. Elle semble avoir eu du caractère. Les « couplets
grivoix » et les habitués avinés des cabarets et des cafés ne lui
faisaient sûrement pas peur.
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Jal
a
découvert la preuve qu’elle
a fait quelques jours de prison, semble-t-il dénoncée par un amant…
Mais il n’a trouvé aucune trace de la fin de sa vie, ni de sa mort. En
tout état de cause la Fanchon créée en 1805 sur scène par une des
actrices en vue de l’époque, Madame Belmont, et telle qu’on la voit
entourée de quatre hommes sur une gravure du XIXe
siècle semble bien loin de la réalité ! Françoise Chemin sensée,
d’après la légende, avoir amassé beaucoup d’argent en jouant de la
vielle sur les boulevards et dans les cafés n’a probablement pas
échappé à la condition des autres « savoyards » qui gagnaient leur vie
comme ils pouvaient à Paris au XVIIIe
siècle.
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la
vallée de
l'Ubaye (Alpes-de-Haute-Provence)
La
Savoie, qui
comprenait le comté de Nice, était encore italienne à
l’époque de Fanchon car elle ne fut rattachée à la France par le traité
de Turin qu’en 1860. Comme on le voit cela n’empêchait pas les
montagnards d’aller jusqu’à Paris ou même plus loin (Belgique,
Allemagne, Autriche…). Cette émigration qui fut souvent définitive
concernait les plus pauvres, mais il existait aussi des migrations
saisonnières. Des familles entières descendaient de la montagne, une
fois leurs propres terres ensemencées, pour participer en plaine aux
travaux agricoles comme la cueillette des olives.
Si
l’on en croit
la
rencontre faite dans la vallée de l’Ubaye par
Christophe de Villeneuve-Bargemon en 1815 alors préfet du
Lot-et-Garonne, les enfants de certains d’entre eux jouaient de la
vielle et « montraient la marmotte » arrondissant ainsi le pécule que
la famille se constituait « pendant les sept mois d’hiver ».
Le
texte évoque un « homme
fort et vigoureux », une femme « ayant le fichu de soie rouge noué sous
le menton » (une fanchon, en somme) et « portant dans ses bras un
nourrisson d’une propreté extrême », un petit garçon et une petite
fille « munie d’une vielle ». On est bien loin ici de la pauvreté et de
la misère, probablement grâce à cette migration bien pensée.
Naturellement, l’observateur demande à jouir d’un spectacle « qui fut
généreusement payé ». Les enfants firent danser la marmotte au son de
la vielle et de « la chanson d’usage ».
Cette
famille venait d’un
village proche de Barcelonnette et se rendait dans le département du
Var. Plusieurs itinéraires le lui permettaient, la route Napoléon
pouvant les mener dans la région de Grasse. Mais il y a fort à parier
qu’à la même période, d’autres montagnards étaient attirés par la ville
de Nice qu’une importante colonie anglaise investissait tous les
hivers. Depuis les années 1760, de riches familles d’Outre-Manche
faisaient en effet la prospérité de la ville. Ce phénomène, interrompu
par les troubles de la fin du siècle avait repris de plus belle après
la chute de Napoléon. On parle de 80 à 100 familles vers 1830, de 284
en 1855…
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Lorsqu’on
se penche sur
la
lithographie de Joseph Mallatia représentant une rue du vieux Nice vers
1825, on y voit clairement une vielleuse.
Même
si l’auteur
a pu
rassembler ici volontairement un grand nombre de petits métiers, la
présence de cette vielleuse jouant dans la rue est significative.
Mais,
ne nous y trompons
pas, les migrants descendus de la montagne vers le sud ne partaient pas
tous avec une vielle, loin s’en faut !
une
grange en région du Valbonnais (Oisans)
Voici
donc un autre
exemple parmi tant d’autres…
Né
en
1779 au Périer,
village au sud de Bourg-d’Oisans et du col d’Ornon,
Jean-Joseph Sciaud,
est dit cultivateur et marchand colporteur, ce qui sous-entend qu’il
cultivait la terre mais que cela ne lui suffisait pas pour vivre.
Il
partait donc l’hiver sur
les routes et comme les autres colporteurs, vendant toujours le même
type de marchandises, il devait se rendre à chaque fois dans la même
région où ses clients le voyaient revenir régulièrement. C’est à Grasse
qu’il se marie en 1805 avec Marie-Louise Muraire, native de cette
ville. Il a dû finir par s’y fixer, puisque son fils, Jean-Joseph y est
né en 1812. Notons qu’à partir de celui-ci la famille a porté le nom de
Siaud (on sait que l’état civil n’était pas toujours très rigoureux).
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Mais
les allées
et
venues de
ces « gavots » , comme on les nommait
alors en Provence, n’ont pas cessé à cette génération. Ce Jean-Joseph
Siaud, qui fut d’abord
colporteur, a épousé en 1848 dans le village
d’origine de son père, Elisabeth Bernard, née au Périer et fille de
cultivateurs. Pourtant l’acte de mariage nous apprend qu’il est alors
domicilié à Grasse, où il est garçon boulanger. C’est d’ailleurs dans
cette ville que naît leur fils François en 1849. Ce dernier,
ferblantier de son état, n’est pas allé prendre femme dans le berceau
de la famille, il a épousé en 1875, Anne Bousquet, née à Grasse en
1853.
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Le
bazar Bousquet vers 1900 - Grasse
Le père d’Anne, Jean Bousquet, n’était pas non plus grassois d’origine.
Né à Aiguines, au sud de Moustiers-Sainte-Marie, il s’était marié à
Grasse en 1849 avec une couturière grassoise, Louise Bompard.
D’abord tourneur, il avait fondé, au 11 rue de la Poissonnerie, le « Bazar de la Place aux Herbes ». À
sa
mort, comme elle était
sa fille unique, c’est l’épouse de François Siaud qui hérita du
magasin, probablement en 1888.
C’est
ainsi que ce sont des
descendants de ces montagnards contraints d’aller gagner leur vie dans
la plaine qui ont géré pendant plus d’un siècle le bazar J. Bousquet en
plein centre de la vieille ville de Grasse, une véritable institution
qui n’a fermé ses portes qu’en 1990.
Recherches
et texte
original : Françoise Bois Poteur, 2013
Réécriture : Nicole Pistono, écriTours, 2013 Voir aussi la
publication :
« FANCHON LA VIELLEUSE dans les rues de Paris » de Françoise BOIS POTEUR et Nicole PISTONO |
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