Vielles populaires des Alpes
Lorsque je faisais mes études en musicologie je me suis très vite aperçue que l’on ne pouvait pas dissocier l’étude organologique d’un instrument de musique et le répertoire que l’on pouvait jouer dessus à l’époque où celui-ci était pratiqué.
Pour la vielle à roue, mon instrument étudié, j’ai donc dû me poser simultanément ces questions.
En tant que vielleuse/interprète, je me suis surtout consacrée au corpus de la vielle. En l'étudiant, j'ai compris qu’il y avait au moins deux sortes de vielles, du moins en France. D'un côté, celles qui ont été fabriquées par ceux qui souhaitaient en jouer, que l’on nommera ici « populaires » et de l'autre, celles qui ont été construites par des luthiers cherchant une esthétique plus raffinée et une qualité de son. Cette dernière catégorie a été en pleine expansion à Paris dans les années 1730. C’était alors des luthiers reconnus par leur production importante d’instruments à cordes, qui les fabriquaient.
Cet article va se consacrer exclusivement à des réflexions sur les vielles populaires avec des comparaisons entre quatre vielles ; principalement des vielles retrouvées dans les Alpes méridionales à Péone, plus précisément.
Comme nous avons fait une page par vielle, tout au long de votre lecture, nous vous invitons à passer régulièrement d'une page à l'autre.
Trois vielles conservées de nos jours à Péone
La vielle Augustin Baudin
La vielle Rosalie Baudin
La vielle du quartier de Serre
A propos de Péone, précisons que nous y avons vu deux vielles dites « diatoniques » ; du même fabricant semble-t-il. Ce n’est pas une spécialité de ce village, ce type de vielle se rencontre aussi dans les Alpes, en général.
En Berry, région à ce jour « reconnue » comme ayant gardé une forte tradition de cet instrument à bourdons, nous n’avons jamais eu l’occasion de voir des vielles diatoniques alors qu’il y avait, là comme ailleurs, des fabricants de vielles amateurs ; cette tradition ayant perduré au XXe siècle.
Mais les fabricants berrichons semblaient vouloir mettre un point d’honneur à faire figurer sur leurs vielles 6 cordes, un « chien » et un clavier chromatique. Ceci pourrait-être en rapport avec ce jeu musical si typique de cette région qui met en avant la « percussion » de la vielle, allant jusqu’à couvrir le son de la mélodie. Il ne faut pas oublier qu’à la fin du XIXe et tout au long du XXe siècle, les vielleux berrichons avaient coutume de défiler dans les rues, accompagnés de cornemuseux en jouant principalement des marches. Ils avaient donc besoin de se faire entendre !
Dans les Alpes, les vielles devaient plutôt accompagner des chansons. Si elles étaient amenées à faire danser, puisque beaucoup possèdent une rythmique, elles ont dû avoir besoin de s’associer à un autre instrument diatonique bien connu dans la région : l’accordéon diatonique. Ajoutons que la fabrication de vielles diatoniques, avec souvent seulement 4 cordes et sans rythmique, était beaucoup plus simple que les vielles de tradition berrichonne.
Cet article est l'occasion de vous présenter une autre vielle populaire qui a été jouée aussi dans les Alpes, plus précisément dans la vallée de Freissinières, non loin de la région du Queyras et de la frontière avec le Piémont italien.
La vielle de la vallée de Freissinières
Si nos sources sont exactes, la vielle de Freissinières aurait pu «sonner » dans cette vallée et dans les autres vallées de la région au tout début du XIXe siècle. C’est à cette époque que Christophe Villeneuve-Bargemont, qui était alors préfet du département du Lot et Garonne, nous a raconté un de ses voyages dans la vallée de l’Ubaye qu’il fit en 1802. Il cite une rencontre avec une famille du Châtelard descendant sur la côte pour gagner sa vie avec les travaux d’hiver. Pour plaire à Christophe Villeneuve-Bargemont, les enfants se mirent à jouer une danse sur la vielle « ressemblant à une Périgourdine », d’après lui.
A la même époque, Félix Neff, un missionnaire d’origine suisse, lors du séjour qu’il fait dans ces vallées des Écrins spécifie bien que sa mission évangélique n’avait pas autant de fidèles dès les « beaux jours » car les hommes désertaient les hameaux pour descendre gagner leur vie sur la côte. Ces vielles voyageaient donc beaucoup avec leur propriétaire.
Pour étudier ces vielles, nous ferons quelques comparaisons avec un pays où leur fabrication est restée populaire : les vielles ibériques , notamment celles de la région de Galice.
Françoise Bois Poteur
Janvier 2022